« Notre rapport à la viande doit changer ! »
Frère Franck Nguyen op
Ni militant écologiste, ni agriculteur, botaniste ou climatologue, le Frère Franck Guyen nous livre son regard de théologien à la suite de son intervention lors de la journée de rentrée des fraternités laïques dominicaines de la région Hauts-de-France le 9 septembre 2023 au couvent Saint-Thomas d’Aquin de Lille.
A.A. : Qu’est-ce que le mouvement écologique a à dire au christianisme ?
Fr. F.N. op : Le reproche principal que les écologistes nous font c’est de considérer l’être humain, de par son statut particulier de créature à l’image de Dieu, comme se situant non pas dans la nature mais au-dessus d’elle. C’est de fait ce que dit le texte de la Genèse quand Dieu parle à l’homme et la femme des animaux : « dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » (Genèse 1, 28).
Les écologistes, eux, nous rappellent que nous sommes bien intégrés et solidaires de la nature. « Tout est lié » dit le pape François. Nous ne sommes pas hors-sol mais bien insérés dans la création (selon la terminologie croyante). Il est bon de nous rappeler cette dépendance.
A.A. : Il y a 8 ans, le pape publiait Laudato Si, son encyclique sur la sauvergarde de la Maison commune. Le 4 octobre, en la fête de saint François d’Assise, il publie Laudate Deum, une exhortation apostolique sur la crise climatique. Sur quoi le pape veut-il nous alerter ?
Fr. F.N. op : François nous appelle à changer notre regard sur la création mais aussi à changer nos pratiques. C’est un appel à une conversion. Concernant notre rapport aux animaux, justement, le pape affirme qu’ils ont une valeur en eux-mêmes et qu’ils ne doivent pas être considérés seulement comme des ressources exploitables. C’est, hélas, ce qui se passe dans la production industrielle de la viande : c’est du vivant devenu simple objet. Cette réification des animaux produit des dégâts moraux et, je pense, psychologiques pour tous les acteurs de cette chaîne ; éleveur, transporteur, abatteur et vendeur. Notre rapport à l’alimentation carnée doit changer. Dans le monde il faut par exemple entre 500 et 700 litres d’eau pour produire 1 kg de viande1. On voit ce que cela a produit en termes d’agriculture intensive par exemple au Brésil avec la culture du soja et la déforestation de la forêt amazonienne. L’autre point rouge, ce sont les gaz à effets de serre. Là aussi, nous devons changer nos comportements : des kilomètres de bouchons avec une seule personne par voiture, ce n’est plus possible !
A.A. : Quel peut-être le moteur de notre conversion ? Quel discours mobilisateur ?
Fr. F.N. op : Comme chrétiens nous croyons que Dieu nous a confié la Création. L’Homme ne peut pas se comporter comme un despote mais comme un intendant. Nous avons en effet des comptes à rendre au Créateur. Comme chrétiens également, à la suite du pape, nous jugeons que l’heure est critique mais que l’Espérance est malgré tout plus forte que les scénarios apocalyptiques anxiogènes des collapsologues qui prédisent l’effondrement de la société industrielle. Même si, par ailleurs, on peut comprendre le découragement et l’écœurement de militants ou de scientifiques, notamment ceux qui étudient le phénomène du blanchiment des coraux dû au réchauffement de la planète et qui touche 98% de la barrière de corail australienne.
Il est important d’entretenir la culture d’un débat honnête et dépassionné. Et puis les discours sur l’écologie ne doivent pas être monopolisés par les citadins. On doit entendre davantage la voie des agriculteurs et arrêter de leur taper dessus à cause du Glyphosate !
Malgré les limites apportées par les politiques nationales, il y a une réelle prise de conscience de la société civile au niveau international grâce aux Nations Unies et aux COP (conférences des Etats ayant signé la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) ou le consensus scientifique dégagé par le GIEC, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat qui, depuis plus de 30 ans, évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes et ses impacts. On a réussi à réduire le trou de la couche d’ozone. Cela montre bien que, quand il y a une volonté politique forte, on est capable de progresser !
Frère Franck Nguyen op
Propos recueillis par Arnaud Arcadias
1D’après l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement : https://www.inrae.fr/actualites/quelques-idees-fausses-viande-lelevage
Vidéo de la conférence du Frère Franck Guyen :
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Livres :
- Val Plumwood, Réanimer la nature, traduit de l’anglais par Laurent Bury, PUF, 2020, 93 p.
- Sylvestre Huet, Le GIEC urgence climat : le rapport incontestable expliqué à tous, éditions Taillandier, 2023, 266 p.
- Aldo Leopold, L’éthique de la terre suivi de Penser comme une montagne, traduit de l’anglais par Aline Weill, Payot, 2019, 141 p.
Crédits image :
- https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/le-prix-du-bien-etre-quelles-solutions-pour-sortir-de-lelevage-intensif-en-europe/