La vocation de son fondateur
L’ordre Dominicain a fêté en 2015 le huit centième anniversaire de sa fondation.
Cet anniversaire fut l’occasion pour les frères prêcheurs, les moniales contemplatives, les sœurs apostoliques et les fraternités laïques qui le composent, de se rappeler et de se réapproprier plus profondément la vocation de leur fondateur et de la faire connaître.
La seule force de saint Dominique fut le Seigneur
Contrairement à l’idée que l’on se fait habituellement du dominicain, saint Dominique n’a été ni un brillant prédicateur, ni un profond théologien. La vocation dominicaine est certes capable de développer ces dimensions, comme d’autres grandes figures de son ordre devaient le montrer par la suite : saint Vincent Ferrier ou, plus près de nous, le père Lacordaire pour l’art de la prédication, ou bien encore saint Albert le Grand et saint Thomas pour la sagesse théologique. Si saint Dominique a laissé à certains de ses fils le soin de développer ces aspects, c’est que lui-même s’est attaché à mettre en lumière ce qui est déterminant dans la vocation dominicaine et qui passe d’abord et avant tout par la confiance en Dieu.
La prédication de l’Evangile comme seul moyen de persuasion
Saint Dominique avait reçu sa vocation en traversant le sud de la France et en cherchant à répondre à l’hérésie Cathare qui ravageait le début du XIIIème siècle par la prédication de modestes sermons expliquant l’Évangile, par la prière et en mendiant son pain quotidien.
Des populations entières avaient, en effet, basculé dans une doctrine gnostique qui voyait dans toute la création matérielle, y compris dans la procréation, l’œuvre du diable. Si elles en étaient venues là, c’était par un sombre désespoir par rapport au monde tel qu’il allait et donc aussi par rapport à l’Église dans son incarnation humaine. Celle-ci en effet était gravement défaillante dans sa mission évangélisatrice : d’une part l’évangile n’était plus prêché, ni par des évêques devenus des seigneurs féodaux, ni par des prêtres trop mal formés, mais surtout il ne l’était pas par des hommes évangéliques qui sachent l’annoncer de manière crédible. Aussi, à côté des Cathares, d’autres laïcs, souvent des hommes sincèrement évangéliques, s’autoproclamaient prédicateurs populaires sans aucune mission d’Église, faisant perdre du même coup aux chrétiens le sens du ministère apostolique.
Au moment où même les moines cisterciens, qui avaient été ses premiers compagnons dans cette mission, baissaient les bras face à l’apostasie de toute la région de l’Albigeois et où la chrétienté se décidait à réprimer celle-ci par une croisade, saint Dominique est resté seul pour tenter de prêcher de manière crédible le Christ et son Église. À la différence des évêques féodaux et des moines aux riches abbayes, il l’a fait en pauvre, mendiant son pain quotidien auprès de ceux-là mêmes auxquels il s’adressait, c’est-à-dire en devenant humblement dépendant d’eux pour sa subsistance. De la même manière, il n’a voulu d’autre moyen de persuasion que la prédication de l’Évangile, en de modestes sermons sur les places et en des dialogues publics, s’exposant sans défense aux agressions des hérétiques.
« Contemplare et contemplata alii tradere »*
Toute sa vie et toute sa vocation rappellent le cœur de la vocation dominicaine qui dit le primat de la vie intérieure et de la contemplation, si indispensables pour prêcher le Christ de manière vraiment crédible à travers une vie vraiment évangélique.
Sa seule force, c’était le Seigneur lui-même, car « il ne parlait que de Dieu ou avec Dieu », passant ses nuits en prière à supplier pour la conversion des pécheurs. En même temps, sa compassion le portait vers les hommes égarés par le mal et l’hérésie, pour lesquels il priait dans les larmes en disant : « Seigneur, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ! ». Cette sollicitude apostolique, il devait l’étendre après la fondation des frères prêcheurs à Toulouse en 1216.
À la lumière de la vocation de saint Dominique, la vocation dominicaine apparaît comme un appel à annoncer l’Évangile à un monde qui l’ignore voire le refuse, à travers une vie évangélique. À la suite de leur fondateur, les dominicains doivent s’exposer aux hommes de leur temps, devant qui ils doivent se présenter non en les surplombant de leur prestige, mais comme des mendiants. Or ils ne peuvent le faire qu’à partir de la « cellule intérieure », comme disait sainte Catherine de Sienne, docteur de leur ordre. Et cette cellule intérieure est le cœur même du Dieu miséricordieux, ce Dieu en qui les dominicains doivent demeurer par leur vie intérieure. Tant mieux si, en plus, ils mettent au service de l’Évangile leur science théologique ou leurs dons pour la communication. À condition toutefois que ceux-ci ne soient pas cultivés au détriment de ce qui, pour saint Dominique, était le cœur de sa vocation : prêcher le Christ dans l’humilité par une vie vraiment évangélique.
Père Jean-Michel Garrigues
Théologien, prédicateur, auteur de nombreux ouvrages de théologie et de spiritualité, le Père Jean-Miguel Garrigues a prêché plusieurs années le carême à la cathédrale Notre Dame de Paris. Expert influent pour le catéchisme de l’Eglise catholique, il a aussi préparé les divers actes de repentance de l’Eglise prononcés par le pape Jean-Paul II.
Cet article est tiré de la contribution du père Jean-Michel Garrigues o.p. sur le site Aleteia.
*« Contempler et partager aux autres ce que l’on a contemplé », saint Thomas d’Aquin, Docteur de l’église, prêtre o.p.